L’évolution de Noro Masamichi senseï, une tentative d’analyse 49e partie et fin
Photographie d’Antonin Borgeaud © 2006
La forme, kata en japonais, est ce qui est étudié, transmis, maintenu vivant. Par le kata, l’esprit d’une école, d’un fondateur et d’un génie, est passé à la génération suivante.
La forme est apprise auprès du maître, voire du Grand-maître. Elle porte son empreinte, sa manière. Elle reflète son cœur avec fidélité. Pour apprivoiser l’attention du public occidental, Noro Masamichi senseï avait nommé sa discipline « art du mouvement ». Cette approche offrait un pente plus douce vers le sommet de son art. Cependant, la facilité comporte un prix, celui du renoncement au trésor, au secret de l’expérience, bien gardé par le dragon Effort. La Belle dort de l’autre côté du roncier.
Photographie d’Antonin Borgeaud © 2006
J’ai approché Noro senseï avec l’intention de l’écouter et de le regarder. J’ai développé le sentiment que l’enseignant donne et que l’élève doit l’aider à donner encore. Il faut secourir le maître dans son effort de tout transvaser vers l’esprit et le corps de son élève car le risque majeur pour l’enseignant est le dépit. Pour cela, l’étudiant doit faire montre de courage, de persévérance, d’attention, d’habileté, de discernement, de raison et d’intuition. Aussi, je me suis tourné vers mon maître pour l’observer, puis pour l’examiner. Je l’ai fait en cours, je l’ai fait aussi en dehors quand je m’approchais de sa culture pour comprendre quel sens il attribuait à tel geste, telle attitude ou tel mot. J’ai cherché la signification de la leçon comme je cherche les champignons, en visant le biotope que je transposais en contexte et en références.
Photographie d’Antonin Borgeaud © 2006
Je me souviens du Kaeten Nage (Yonten) qu’il exécutait en 1981. Je vois encore sa posture, la forme de son corps, la disposition de son esprit. Je possède cette mémoire au point qu’il me suffit de tourner mon esprit vers lui pour que sa forme m’apparaisse. J’ai tant travaillé ses postures de Terre et de Ciel qu’elles ont informé mon corps. Il m’arrivait de m’attacher une semaine durant à une seule posture et de la maintenir aussi longtemps que je le pouvais. J’en fis le pilier de mon étude. Les mains alors relâchent leur tension, les épaules se positionnent au plus juste, les aplombs s’empilent sur un unique point d’appui. Puis il me fallait entrer dans la technique avec en mire les positions que j’enchaînais, les liant par le souffle, par le chemin le moins dépensier en contraintes et en déséquilibres. La technique devenait au fur et à mesure de ma quête une série de formes, d’idéogrammes que je traçais d’une même respiration. Je la continuais jusque dans l’explosion du yang. Je la développais dans les 111 mouvements. Je la retrouvais depuis le salut jusque dans le vif des gestes les plus tranchants. Toujours, elle racontait la possible harmonie du fort et du faible, l’union tant espérée du clair et de l’obscur, la mise en cercle du haut et du bas.
Je vois la technique comme texte de formes, comme page d’idéogrammes, comme chapelet de grains dont chacun devient à son tour le début virtuel d’un autre chapelet. La posture possède une puissance infinie qui vient de l’équilibre de toutes les forces, de leur sommation sans réduction, toutes s’exprimant et aucune n’étant contrainte. Il suffit alors d’ouvrir une porte, de lever une barrière, de lâcher une retenue pour que jaillissent une force, une eau vive, une colonne d’écume. À ce moment, surgit une forme nouvelle, une variante, un enchaînement inédit. Je voyais dans l’art de Noro Masamichi senseï une science du réceptacle qui contient pour mieux suggérer, une puissance du contenu qui recèle pour mieux livrer, un vase qui retient une lumière trop vive et qui s’offre à un éclatement joyeux. Je percevais la leçon dans un univers de formes.
La forme met en musique le silence. Photographie d’Antonin Borgeaud © 2007
J’invitais mon senseï au jardin japonais pour illustrer cette compréhension. Je désirais témoigner de son art selon cette vision et il y a consenti : « C’est comme le dojo de mon maître ». Il y a une profondeur dans ce retour. J’y perçois un esprit débutant, une rencontre initiale, une première initiation.
Fin de l’évolution de Noro Masamichi senseï, une tentative d’analyse.